Ça veut dire que t’es souple?

25 novembre 2018

Ça veut dire que t’es souple?

«Tu es danseuse? Mais quelle chance, tu as d’en faire ton métier!»
Minute papillon. Alors Oui. J’aime danser et j'adore en faire mon métier.
Mais non. Ce n’est pas une chance. C’est du travail.

Texte par Hilda
Photo — Rémi Desclaux
Make up — Nicolas Stan
Coiffure — Ludovic Binet
Stylisme — Hilda + JDG

#ilovemyjob : Quand tu ne sais pas.
Notre métier peut être fantastique #ilovemyjob . Mais derrière ce hashtag, la lumière et la scène, se trouvent le plus gros de l'iceberg. Désolé, mais il est plutôt rollers coasters des émotions, digne des plus grands parcs d'attraction, que paillettes. Je ne t'en veux pas, tu sais, que tu ne saches pas : le but de notre métier est justement de te faire oublier que ce qu'on fait est difficile. Mais nos vies sont loin d'être des comptes instagram...
Suer.
Les efforts font suer. Double sens à noter. Et en danse évidemment aussi. D’aussi loin que je me souvienne, la danse est dans ma vie. Les studios de danse, les miroirs, les planchers, la colophane n'ont presque, aucun secret pour moi. Et la transpiration non plus. C'est vrai : quand tu passes des heures et des heures à danser, l’oubli du déodorant dans le sac d’entrainement devient classé 12 sur l'échelle de Richter de panique. Non, ce n'est pas forcément délicieux de rester 3, 5, 8h avec les mêmes personnes, dans la même pièce, avec les mêmes fringues. Veux-tu aussi que je te parle de ces moments où, on te demande de danser au sol, mais que tu sais très bien, que, ce même sol :
– s’est fait piétiner par des baskets qui sont allées dans la rue
– la poussière date d’il y a une semaine,
– la serpillère, finalement c’est toi qui la fait, grâce à ton dos degoulinant?
Dois-je préciser que les autres transpirent aussi? Parfois beaucoup. Trop. Et danser ensemble se transforme en «mélangeons nos sueurs poussiéreuses ensemble»… Déo, savon, et balai devraient être en libre service à l’entrée de tous les studios et compagnies de danse dans le monde, pour cause de sécurité sanitaire. Du glamour à l’état brut et un métier à risques donc.
Douter.
En casting, sur scène, en sortant de scène, sur les réseaux sociaux : Nous faisons tous les malins devant tout le monde. Ceci est un fait. Mais qui est-ce qu’on retrouve recroquevillé dans son lit à se demander si oui ou non on a bien fait de choisir ce métier, après un entrainement mal fait, ou un casting qui n'aboutit à rien? Si, en fait, notre place ne serait pas au bout du monde et à ouvrir un bar à cocktails au soleil? Indice : ça commence par nous, et se finit par, les danseurs.
Ok, l’image du lit est peut-être un poil exagérée. Mais sincèrement, le quotidien d'un danseur c'est souvent : «je me paye mon entraînement de danse ou je fais mes courses pour la semaine?» Ça demande un travail mental et physique permanent sur soi, son porte-monnaie, et de persévérer même quand ça ne va pas. Se bouger le c*l sans trop trainer parce que «tic tac», ta carrière n'est pas illimitée.
Le doute dans notre quotidien, c'est comme un café le matin.
Tu crois parfois en avoir besoin , mais en fait pas forcément. Douter un peu, c'est bien, mais le doute ça peut te bloquer, t’immobiliser et te faire broyer du noir. Ce doute là, il faut l’assumer, d’abord, et puis s’en sortir ensuite… Et crois-moi, tu ne t’en débarrasses pas avec les paillettes et les spotlight braqués sur toi. Ni avec le salaire touché à la fin du mois.
Pour la chance alors, tu repasseras.
Se dépasser.
Dans le corps d’abord. En tant que danseurs, nous cherchons constamment à repousser nos limites, et donc, il y a forcément des phases pas comfy. Comme quand on flirte avec la douleur pour effectuer un mouvement plus difficile que l’on pensait, ou que l’on doit composer avec des blessures anciennes, ou pas forcément bien guéries. C’est peut être ingrat, mais la chorégraphie, elle, n’en a rien à faire de nos soucis : notre métier c’est danser et trouver des solutions dans notre mouvement pour y arriver : même avec nos limites. Et puis, se dépasser, c’est aussi dans la tête. Par exemple, à chaque fois que tu veux progresser. Et alors cette phase : tiens-toi fort pour la passer! Obligé d’être face à toi-même, tu te retrouves à dealer avec tes démons, tes faiblesses, enfin tu sais : tout ce que tu te caches si bien dans la vie de tous les jours quoi. Ça ressort à ce moment là. Si tu aimes les sensations fortes : c’est cadeau.
Échouer.
Entendre «non» pour la 45e fois du mois en casting, ta technique de danse qui n'évolue pas comme tu voudrais… Te rater en spectacle devant un public. C'est juste terrible. Mais c’est ça le quotidien en fait. Si tu t’étais laissé emporter par l’ivresse que peut donner le métier parfois : la chute est encore plus rude. Se rendre compte qu’on échoue, ce n’est pas facile. Et parfois, ça se répète. Et c’est dur. Très dur. Parce qu’il faut garder la foi pour continuer. Pas de pause dans le game. Arriver à ce stade de lecture, tu te dis certainement que je suis folle de faire ce métier.
«Ca veut dire que t’es souple, et tarée alors?»
Tu n’as peut être pas tort. Mais alors tous les gens de mon métier sont tarés aussi. Peut-être pas tort non plus? Mais, non, bien sûr. Si je/on fais/t tout cela, c’est bien parce qu’il y a un sens, un point G, à ce parcours fou.
Trouver l’équilibre.
Malgré toutes les étapes que je peux franchir, et ce tout au long de ma carrière, la magie opère quand je trouve l’équilibre. Entre doute et assurance, entre force et vulnérabilité, entre sueur et aisance. Elle est là, la danse. Lorsque je sens que l'énergie circule, que rien ne l’arrête parce que j’ai la force tranquille en moi, le lien qui se crée entre mes collègues et moi tout au long des répétitions et des spectacles, ces moments où sans parler, les corps se comprennent…
In-des-crip-tible.
Et c’est à ce moment là que tu bascules du côté obscur de la force et que tu ajoutes à ton prochain post instagram : #ilovemyjob